Le Canada, d’un Trudeau à l’autre.
L’histoire ça n’appartient pas aux bancs d’école, ça appartient aux peuples. C’est à eux qu’il appartient de connaître leur histoire et l’histoire des autres sociétés et mieux encore d’en reconnaîtres les répétitions. Et puis de partager nos « découvertes ». Ce n’est pas parce qu’un premier ministre quelconque, très quelconque, déclare que l’État qu’il chapeaute est « post national », que c’est vrai. Pas parce qu’il dit que son pays n’a pas « d’identité fondamentale » que c’est vrai. Pour pouvoir s’inscrire en faux face à des politiciens du genre, nous devons être informés et solidaires.
Voici un article du journal LE NOUVELLISTE publié comme vous voyez en 1991. Le texte ne reproduit pas les paragraphes dans leur forme originale.

LE NOUVELLISTE
71eme année numéro 289
Trois-Rivières
Lundi 7 octobre 1991
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Parizeau fulmine «Trudeau a tenu des propos indignes»
Mario Gilbert Montréal (PC)
Le chef du Parti québécois, Jacques Parizeau, a qualifié d’«indignes» les déclarations de l’ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau, pour qui la clause de société distincte pourrait hypothétiquement permettre au Québec de déporter des milliers de non-francophones. «C’est très sérieux, et c’est indi gne. Voilà un homme qui a été premier ministre du Canada pendant des années, qui est mondialement connu, qui dispose à l’étranger d’une audience importante et qui, à l’égard d’une société comme la nôtre, ouvre une perspective pareille», a commenté d’un ton solennel M. Parizeau, hier midi.
«On devrait avoir, plus que la pudeur, la retenue de ne pas lancer une accusation, une insinuation pareille dans la situation politique actuelle. C’est proprement, au sens propre du terme, indécent et tout à fait irresponsable», a-t-il précisé plus tard en conférence de presse.
Le quotidien montréalais The Gazette rapportait samedi les propos de M. Trudeau tenus mercredi lors d’une «allocution privée» («off the record») devant plus d’une centaine de membres de la Young Presidents Organization, une association de jeunes dirigeants d’entreprises. Les journalistes n’avaient pas été conviés à cette rencontre à caractère «privé» mais le rédacteur en chef de la Gazette, Norman Webster, y assistait parce qu’il avait été modérateur lors d’un autre débat «privé», lundi dernier. Dans sa chronique de samedi consacrée au «off the record» journalistique, il a décidé de rompre le silence parce que de toutes façons, les jeunes entrepreneurs présents auraient tôt ou tard éventé l’affaire.
Selon M. Webster, l’ex-premier ministre Trudeau a expliqué que la définition de société distincte per mettait au Québec de déporter des non-francophones si la démographie ou des règlements sur l’affichage ne suffisaient pas. «Cela donnera au gouvernement de cette société le pouvoir de dire: «Bon, déportons une couple de centaines de milliers de Québécois non- francophones (...) Nous avons le droit d'expulser des gens, et certainement pour leur fermer la trappe s’ils s’imaginent qu’ils peuvent parler anglais en public», a dit M. Trudeau. M. Parizeau se défend bien de vouloir brimer le droit à l’expression des opinions. «Mais il n’y a pas que des droits dans une démocratie, il y a des devoirs. Et l’un d’entre eux est de ne pas chercher, à des fins politiques, de provoquer, de faire flotter non seulement des faussetés mais des accusations d'une très grande gravité», a-t-il dit. Selon le chef du Parti québécois, Pierre Trudeau est bien mal placé pour donner des leçons à qui que ce soit en matière de droits de la personne. «Faire mettre en prison 500 personnes sans que des charges soient portées contre elles, on ne me fera pas croire que l’on peut réconcilier cela avec des droits des citoyens», a-t-il rappelé en faisant référence à l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre, adoptée en 1970 par le gouvernement Trudeau lors de la Crise d’octobre.
«On veut parler de déportation? », lance-t-il. «C’est sous son gouvernement qu'il y a eu ce projet de déporter un très grand nombre d’Haïtiens en situation irrégulière. Ce sont les Québécois dits «de souche» et le Parti québécois qui ont bloqué le projet.» M. Parizeau s’inquiète du signal envoyé dans le monde par ce Canadien bien connu. «C’est beaucoup plus dommageable pour tous les Québécois au Québec et à l’étranger que tous les Mordecai Richler», a-t-il dit. «Il ne faut pas imaginer que quelqu’un qui a cette notoriété un peu partout dans le monde peut dire des choses pareilles sans qu’effectivement, ça fasse dans l’esprit de beaucoup de gens à l’étranger des dégâts sérieux à l’ égard du Québec et du Canada.»
Selon M. Parizeau, tous les Québécois — et pas seulement les souverainistes ou les partisans de la clause de société distincte — ont été attaqués par les propos de M. Trudeau. «Il faut que tous les porte-parole de groupes au Québec et ceux qui ont des responsabilités, souverainistes ou fédéralistes, réagissent à ces propos. Il faut que les Québécois parlent: qu’on dise à cet ancien premier ministre que ce qu'il a dit est indigne.» «Chaque fois que la souveraineté lui semble menaçante, il (M. Trudeau) fait des interventions de ce genre-là, mais je dois dire que cette fois-ci, il s’est surpassé.»